Se dire pédé, un genre en soi
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Qu’est-ce qu’un pédé ? Au-delà de l’injure et du langage, pédé implique des violences spécifiques. Si certains se réapproprient le stigmate, se dire pédé n’est pas une trajectoire homogène. Plus qu’orientation sexuelle, pédé serait-il un genre ?
Avertissements : certains propos de ce programme peuvent heurter les oreilles sensibles. Le mot « pédé », employé par les militants homosexuels depuis les années 70 dans une logique de réappropriation et retournement de l’injure, désigne ici une perception radicale ou révolutionnaire de l’homosexualité masculine de la part des premiers visés par cette insulte.
Pédé : tracée sur les murs des villes, crachée par toutes les bouches, l’injure la plus courante pour rabaisser un homme. Mais aussi un étendard politique révolutionnaire, un stigmate que se réapproprient nombre de militants radicaux, du Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire des années 70 aux Sœurs de la Perpétuelle Indulgence jusqu’aux quelques collectifs pédés des années 2020, qui à travers les époques jouent avec les codes de la masculinité et de la féminité, et interrogent l’artificialité des catégories de sexe comme de sexualité.
Le sociologue Antoine Idier explique comment des militants ont commencé à se dire pédés et pas seulement homosexuels : “Ils reprennent avant tout ‘pédé’ parce que c’est le terme de l’insulte et qu’ils travaillent avant tout politiquement sur la stigmatisation de l’homosexualité et sur ce que la société fait de l’homosexualité, comment la société constitue l’homosexualité comme une déviance, comme une anormalité. Et donc pédé exprime, condense tous ces questionnements. Ils le reprennent aussi comme une forme de retournement du stigmate, comme un retournement de l’injure. De même que quelques années plus tôt, le mouvement de la négritude avait repris l’insulte nègre pour en faire un terme positif et pour inventer une identité politique et culturelle“.
Mais au-delà du langage, pédé est avant tout une condition matérielle, marquée par les agressions physiques répétées, les addictions, l’exclusion de la famille, l’isolement, le harcèlement au travail, les discriminations salariales, à l’embauche ou au logement, les violences médicales ou la surexposition au VIH – sans oublier les meurtres, toujours dans les années 2020. Incarner « l’enculé », semble-t-il, provoque un sérieux déclassement au sein de la classe des hommes, reléguant les pédés et les folles aux masculinités subalternes ou à la féminité, et cette trahison au patriarcat se paie cher.
La place trouble des pédés au sein des rapports de genre se manifeste dès l’enfance, les garçons gays et bisexuels étant surexposés aux violences sexuelles intrafamiliales au même titre que les femmes. Les gays, alors, sont-ils pleinement des hommes ? Appartiennent-ils vraiment à la masculinité dite hégémonique ? Et si, plus qu’une simple orientation sexuelle, pédé était un genre en soi ?
Pédé, pourtant, n’est pas une catégorie homogène, car on peut être pédé cisgenre ou pédé transgenre, aisé ou pauvre, blanc ou racisé. Se dire – ou ne pas se dire – pédé, alors, ne signifie pas la même chose pour tous.
Un documentaire de Camille Desombre, réalisé par Gilles Blanchard.
Avec :
Nabil, Vincent, Yohann, Christophe et Marvin, rencontrés dans le Marais
Antoine Idier, sociologue et historien, auteur de Les vies de Guy Hocquenghem
Pablo, Alexandre, Lucien, Romain, Hervé, David, Pierre et tous les membres de La Théière, collectif pédé de Lille
Ruby Faure, doctorant·e en philosophie et en études de genre
Javier Saez, sociologue, coauteur de Enculé ! Politiques Anales
Sœur Zora des Pâquerettes et Soeur Hémonie du Souvenir, Soeurs de la Perpétuelle Indulgence
Jean-Baptiste Bonjean du Manoir, militant pédé
Noé, Misha et Loren, membres du collectif TransFagTrad
Jacques Boualem, auteur du texte « Zemel » au sein du recueil collectif Pédés
Merci à Clémence Allezard, Adrien Naselli, Yoann Hourcade et Gianfranco Rebucini pour leur aide et soutien dans la fabrication de cette série, ainsi qu’à Paul Alia, Lionel Cordier et Sébastien Chauvin pour leurs conseils bibliographiques. Merci également au Cox et aux Souffleurs, aux Beaux-Arts de Paris, à la Librairie Le Pied à Terre à Paris, à la Ressourcerie à Lille, à la Parole Errante Demain à Montreuil pour leurs accueils respectifs.
Lectures de texte :
- Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire, Rapport contre la normalité (Éditions Champ libre, 1971), lu par Martin Dust
- Sélection de divers titres de presse sur des meurtres d’hommes homosexuels ou bisexuels, lue par Martin Dust
- Javier Saez et Sejo Carrascosa, Enculé ! Politiques Anales (Éditions Les Grillages, 2021), lu par Javier Saez
- Jacques Boualem, « Zemel » au sein de l’ouvrage collectif Pédés (Éditions Points, 2023)
Liens :
- L’homosexualité largement tolérée, mais loin d’être banalisée : analyse des données recueillies pour l’Observatoire des inégalités, janvier 2023.
- Isabelle Clair : Le pédé, la pute et l’ordre hétérosexuel, in Agora débats/jeunesses, vol. 60, n°1, 2012.
- Michael Pollak : L’entrée en homosexualité masculine. In Des hommes et du masculin, édité par Daniel Welzer-Lang et Jean Paul Filiod, Presses universitaires de Lyon, 1992.
- Sébastien Chauvin et Arnaud Lerch : Les clés du placard : homophobie, coming-out, communautés, in Sociologie de l’homosexualité, éd. La Découverte, 2013.
- Pédé à la campagne : texte à lire dans L’Empaillé, n°3, décembre 2017.
- La reproduction sans encombre des rapports de race : le cas des gays noirs, de Damien Trawalé.